30 avril 1744 (1) : De Montigny à l'Académie des belles-lettres :
Extrait de quelques lettres de M[onsieu]r Euler avec la methode de construire des equations differentielles proposées dans ces lettres par M[onsieu]r Clairault [cf. 23 août 1743 (2)]. Comme les methodes qui font le sujet de ces lettres appartiennent au calcul integral, je ne pourrois en donner l'idée sans retracer auparavant en peu de mot quel est l'objet du calcul differentiel, quel est celui du calcul integral. Lorsque l'on compare ensemble deux ou plusieurs suites de quantités finies de lignes droites par exemple, qui croissent ou qui decroissent en même tems par des differences infiniment petites, si ces quantités ont entre elles une relation determinée qui convienne egallement a tous les termes correspondans de ces suites, l'analise exprime leur relation par une equation finie, et l'on en peut toujours tirer si l'on veut la relation qu'ont entre elles les differences infiniment petites dont ces mêmes quantités varient. Le calcul qui détermine les relations de ces differences, est le calcul differentiel. Une suite de quantités finies qui different infiniment peu les unes des autres produit une suitte de differences infiniment petites ; ces differences peuvent aussi varier entre elles et se surpasser l'une l'autre d'une quantité infiniment petite par rapport à elles memes, cette quantité s'appelle difference seconde ou infiniment petit dusecond ordre. Il en est de même des 3e, 4e ordre ainsi de suite à l'infini, et c'est toujours le même calcul differentiel qui determine leur relation. L'objet de ce calcul peut toujours être rempli, car aiant une equation qui exprime une relation determinée entre deux ou plusieurs quantités variables, on peut toujours en tirer par un procedé simple et facile la relation qu'ont entre elles les differences infiniment petites dont ces quantités croissent ou decroissent en même tems et leur relation se trouve exprimée par une equation differentielle, melée de quantités finies et de quantités infiniment petites. De cette nouvelle equation l'on peut tirer avec autant de facilité, la relation qu'ont entre elles les quantités infiniment petites du second ordre, d'où l'on peut tirer encore par une operation toujours aussi simple, la relation des differences infiniment petites du 3e ordre et ainsi de suite à l'infini, L'objet du calcul integral est tout a fait contraire a celui du calcul differentiel. Il nous sert a tirer d'une equation differentielle, ou d'une relation donnée entre des quantités infiniment petites la relation qu'ont entre elles les quantités finies dont celles cy font les differences ; il parcoure comme le calcul differentiel tous les differens ordres d'infinis ; mais en remontant des 3es differences aux secondes qui sont leurs integrales, des secondes aux premieres, et des premieres aux quantités finies dont les variations successsives étoient exprimées par ces differens ordres de quantités infiniment petites. Souvent il n'est pas possible, et presque toujours il est difficile de remplir l'objet du calcul integral, les solutions des plus beaux problemes de geometrie et de physique deviennent souvent inutiles parce qu'elles restent enfermées dans des equations differentielles qui ne donnent aucune prise au calcul integral, et dont on ne peut tirer par consequent la valeur des quantités finies que l'on cherchoit dans ces problemes. C'en est assez pour sentir toute l'importance de ce calcul On peut representer par une seule et même formule toutes les equations differentielles ; si l'on integroit cette formule le calcul integral seroit achevé. Les plus illustres geometres ont tenté la solution de ce beau problème aucun jusques a present n'a pû l'atteindre ; mais en poursuivant un objet qui peut être est chimerique on a trouvé plusieurs methodes tres belles et tres etenduës avec lesquelles on peut integrer un grand nombre de formules differentielles, qui sans etre generales renferment cependant plusieurs infinités d'équations. M. Euler, un des plus celebres geomêtre de ce siècle membre de l'Academie de Petersbourg, a publié dans les recueils de cette Academie plusieurs methodes pour integrer des formules differentielles de cette espece. En 1741 il fit part à M[onsieu]r Clairault d'une nouvelle methode qu'il a decouverte avec laquelle on peut integrer des equations differentielles d'un degré quelconque, c'est a dire des equations qui renferment des infiniments petits du 1er du 4e du 10e ou du 1000e ordre à l'infini, et cela sans avoir besoin de parcourir succesivement tous ces ordres en reiterant les integrations autant de fois qu'il y a de degrés differentiels dans l'equation proposée. La formule qu'integre M[onsieu]r Euler est composée de deux variables dont l'une a des premieres, secondes, 3emes, 4emes differences ainsi de suite dans tous les ordre : tandis que l'autre varie uniformement, c'est a dire d'une quantité toujours constante. Cette inconnue qui varie pour tous les ordres fait le premier terme de la formule à integrer, ce second contient sa seconde difference divisée par le quarré de la difference constante et toujours de même à l'infini, la somme de tous ces termes est suposée egale à 0. Après avoir integré cette formule M[onsieu]r Euler s'apperçut qu'on pourroit l'integrer encore en lui donnant une plus grande generalité. Au lieu d'egaler à 0 la somme des termes qui la co[m]posent, il la suppose egale a une fonction quelconque de cette inconnue qui varie uniformement, c'est a dire a une quantité finie qu'elle qu'elle puisse être composée de cette seule variable et de quantité constantes. Il propose ce nouveau problême à M[onsieu]r Clairault qui en donne une elegante solution dans ses réponses à M[onsieu]r Euler. Les moïens qu'ils ont employé l'un et l'autre pour resoudre ces deux problemes, et l'adresse singuliere avec laquelle M[onsieu]r Clairault se debarasse dans certains cas des quantités imaginaires, meritent l'attention de tous ceux qui s'appliquent aux sciences analitiques ; mais il me seroit impossible d'en donner l'idée sans exposer les calculs mêmes (AAS, 1 JJ 231, pp. 34-41).
Abréviation
AAS : Archives de l'Académie des sciences, Paris.
Courcelle (Olivier), « 30 avril 1744 (1) : De Montigny à l'Académie des belles-lettres », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n30avril1744po1pf.html [Notice publiée le 22 mars 2010].